mercredi 28 janvier 2015

Maurice et Patapon

Après les meurtres orchestrés par des terroristes dans les locaux de Charlie Hebdo, Anne et moi avons voulu faire parler Maurice et Patapon, les héros de Charb. Sans prétention aucune, voici :


mardi 6 janvier 2015

Conte des Mitaines #2





Voilà une heure qu'Arthur et ses amis jouaient au « jeu de l'historien » animé par Gonzague.
Tout comme « La grande aventure des mathématiques », ce jeu était une invention que l'érudit escargot avait programmé dans le cadre de sa journée « festive » d'anniversaire.

- « Un marteau ! Que quelqu'un me prête un marteau ! J'vous l'abime pas : je m'en sers juste pour lui taper sur la tête, comme ça, avec des petits coups rapides... » s'emporta la renarde en mimant le geste.
- Non mais Kitsu...  tu pourrais faire un effort, c'est son anniversaire quand même ! Tempéra Willo.
- Ouais bin moi ça me déprime... On est samedi et j'ai l'impression d'être à l'école... ronchonna Pélagie.
Gonzague interprétait les messes-basse de ses amis comme un intérêt manifeste pour son activité. Il faut dire que la notion d'amusement avait toujours semblé pour le moins confuse dans l'esprit de ce puits de science. Là où d'autres ne voyaient qu'ennui, lui avait toujours pris du plaisir aux jeux de l'esprit ou à l'apprentissage de faits historiques.
Le buffet d'anniversaire s'offrait aux convives tel de lourds fruits noirs protégés de ronces. Il serait possible d'y déguster moult merveilles sucrées, dès lors que l'une des questions du « Jeu de l'historien » trouverait réponse. Au bout de 4 échecs, la patience de nos héros était comme nous l'avons constaté, soumise à rude épreuve.
  • Mes chers amis, je vous demande cette fois l'origine de l'épiphanie, intervint Gonzague.
  • L'origine de qui ? S'étonna Willo.
  • Il a parlé de l'épi de Fanny, interpréta Pélagie, mais je suis pas trop trop sûre de qui c'est...
Arthur fut réveillé par les voix de ses camarades. En effet, si ses yeux clos avaient été perçus par l'escargot comme le signe d'une concentration appliquée, ils résultaient en réalité d'un demi sommeil.
  • Tu veux savoir pourquoi nous fêtons l'épiphanie, c'est bien ça ? Interrogea t-il en s'étirant. C'est très facile, mon papi m'a souvent narré cette histoire. C'est la « fête des rois ». Je peux même vous la raconter comme il le faisait, si vous voulez !
  • Intéressant Arthur, l'encouragea Gonzague, nous t'écoutons...
Et tandis que l'ourson entamait son récit, les yeux de Kitsu, Pélagie et Willo brillaient d'une lueur d'espoir plus intense que le feu d'artifice d'un 14 juillet.

Avant le couronnement de Basile, on ne parlait pas encore d'épiphanie.
Papi me disait que ce fameux monarque portait bien son nom puisque « Basile » signifie « roi »... Mais si je veux raconter bien comme il faut, il faut que je commence du temps où il était encore prince.
Enfant, Basile était un grand pachyderme un peu enrobé, d'âme droite par l'éducation et exaltée par nature. Balthazar et Enma ses parents, souhaitaient modeler ses croyances en les faisant rentrer à grands coups de cours particuliers, dans le cadre d'une parfaite éducation morale. Basile était le prince d'un royaume dont il hériterait à sa majorité. Cela laissait peu de place à la plaisanterie.

  • Un peu comme chez Gonzague pesta Kitsu, marmonnant dans une barbe qu'elle n'avait pas...
Quand Basile se promenait avec son précepteur à grands pas dans l'allée de son palais, la même interrogation se dressait souvent dans son esprit : "Pourquoi le roi dirige t-il le royaume sans avoir été choisi par le peuple ?" Chaque fois, son professeur particulier cherchait obstinément à le convaincre, prônant la tradition et la volonté divine.
La logique se voulait absolue et admirable : aussi vrai que les levers de soleil existaient pour rendre joyeux les réveils, la pluie pour nourrir la terre et les nuits pour apaiser le travailleur, le roi était sur terre afin de régner sur le peuple des sept vallées. C'était ainsi et pas autrement. Pourtant Basile, concluait invariablement par : « Je ne serai jamais roi ! ».
Les saisons se succédaient et Basile s'obstinait dans son refus de régner un jour. Ni les sermons de son précepteur ni les discours de son père ne parvenaient à prendre le pas sur le doute insinué au plus profond de son cœur.
A l'âge de 10 ans, le souverain l'autorisa pour le convaincre, à assister à son premier conseil économique et militaire. Il y était question d'impôts à lever pour payer une nouvelle guerre afin de dompter les rois autoproclamés de vallées voisines, aux velléités d'indépendance.
  • « Qui sont ces gens, père et faisons nous acte de justice à les combattre ?» Interrogea le jeune éléphant.
    Les réponses apportées ce jour-là par le roi et les conseillers ne parvinrent guère à convaincre Basile. Il fallait lutter contre des usurpateurs qui s'appropriaient des richesses qui ne leur appartenaient pas. Pour ce faire, il faudrait augmenter les impôts pour lever une armée et piller les vallées reconquises afin de se rembourser de l'effort de guerre... La logique échappait parfaitement à l'héritier qui ne manqua pas de le faire savoir en concluant les échanges par un air connu : « Je ne serai jamais roi ! ».
Basile haïssait cette vision du pouvoir. Il la méprisait initialement par instinct et la détestait au fur et à mesure des années, consciemment. Pourtant... que pouvait-il faire ? La guerre eut lieu et même d'autres encore plus tard, et ce sont les innocents comme toujours en ces cas là, qui en payèrent le prix fort...
La veille de ses 18 ans, les parents de Basile furent au comble du désespoir. Leur fils refusait toujours la succession, or elle est obligatoire à la majorité avérée de l'héritier.
  • Mais alors, y a plus eu de roi ? s'enquerra Willo.
Si si, j'y viens. Si vous vous souvenez, j'ai évoqué au début de mon histoire le « Roi Basile », donc on lui a bien remis sa couronne... 
  • Comme chez le dentiste ? Tenta Pélagie, incertaine.
Pas vraiment Péla...
Bref... en cette veille agitée, Basile avait bien du mal à se fixer à une activité quelconque. L'échange avec son père plongé dans une fureur extrême, lui revenait sans cesse à l'esprit. Et c'est pendant son dîner en solitaire, par une splendeur de clair de lune telle qu'on n'en voyait presque jamais, que survint un événement capital. Basile croqua machinalement un bout de gâteau brioché et ressentit une vive douleur à la mâchoire. Par une incertaine succession de circonstances, un caillou s'était retrouvé logé dans la pâte de son dessert. Sorti de ses pensés, il se sentit soudain distrait par forme du gâteau qui se tenait devant lui. Découpé en 7, il évoquait parfaitement le royaume et ses sept vallées. Basile eut alors comme une révélation : les choses lui apparurent soudain évidentes. Une véritable épiphanie ! Sans tarder il fit immédiatement savoir que le couronnement aurait lieu dès le lendemain, comme le veut la coutume.

- Elle est triste ton histoire Arthur, se lamenta Willo. J'aime pas quand les gens renoncent à leurs idéaux, moi...
La première fois que mon papi me l'a racontée, j'ai pensé exactement la même chose ! Pourtant, Basile était loin d'avoir renoncé à ses convictions. Au contraire, il venait enfin de comprendre qui était à même de réparer les injustices : le roi !

Pélagie était confuse :
- Mais j'croyais que le roi il faisait la guerre et piquait l'argent des pauvres ?

Balthazar très certainement oui, et rien ne pouvait changer cela à part Balthazar lui-même. Ainsi, Basile avait compris que s'il était impossible de faire changer le roi dans ses opinions, il convenait de changer de roi. Depuis son enfance, on lui répétait que nul ordre du souverain n'est discutable tant il incarne la volonté divine. Une fois couronné, plus personne n'a été en mesure de s'opposer à ses décisions, y compris son père.
Basile décida donc que désormais, les 7 vallées choisiraient librement leur représentant pour une durée limitée. Nul privilège ne serait maintenu et le travail du peuple devrait être libre et consenti. L'armée royale serait reconvertie en service de défense du citoyen dans les villes des vallées et le trésor royal serait équitablement réparti afin de construire des routes, et des infrastructures à utilité publique comme des dispensaires médicaux et des écoles.
Gonzague opinait du chef :
- C'est jute et ton récit est parfaitement maîtrisé mon cher Arthur. Cette révélation que tu as qualifiée d' « épiphanie » avec raison, est donc célébrée depuis cette époque en dégustant chaque année un gâteau à la même date et...
Mais Gonzague ne put terminer, constatant que ses amis s'étaient rués sur le buffet d'anniversaire sans plus attendre. Et tandis que Kitsu demandait à la mère de Gonzague de lui prêter un marteau « juste au cas où », c'est Pélagie qui obtint le fin mot de cette histoire  :
- N'empêche, on se moque de ce que j'dis mais s'il s'est pété la dent sur un caillou Basile, j'avais bien raison de dire qu'il lui fallait une couronne...
***